A la fois pays de départ, de transit et de destination, le Nigeria est un carrefour stratégique pour le trafic d’êtres humains et le trafic de migrants. Derrière des promesses illusoires d’opportunités économiques, des milliers de migrants tombent dans les filets de réseaux criminels organisés. Face à l’ampleur du phénomène, les autorités nigérianes renforcent leurs moyens de surveillance et multiplient les coopérations internationales pour lutter contre ce trafic aux ramifications complexes.

Un trafic aux multiples facettes

 

Début février, l'Agence nationale pour l'interdiction de la traite des personnes (NAPTIP) s'inquiétait de l'ampleur de la traite des êtres humains et de la migration irrégulière. Elles affectent les 774 zones de gouvernement local du Nigeria. Parce que le pays est à la fois un pays de départ, de transit et d’arrivée de migrations illégales, les corrélations entre migration et trafic d’êtres humains sont diverses. Nombre de jeunes femmes nigérianes sont par exemple prostituées dans plusieurs pays d’Europe, tombées entre les mains de trafiquants peu scrupuleux et dangereux. Mais, le Nigeria est également un État dans lequel des migrants, souvent venus d’autres pays africains, sont exploités. « C’est un ami qui m’a contacté pour me parler d’une opportunité à Abuja. Comme je le connais bien, je lui ai fait confiance, » raconte Mamadou BORA, 25 ans, un Ivoirien. [1] Une “opportunité” qui se transforme rapidement en un cauchemar. Si à l’origine on avait promis à Mamadou 550 euros par mois - un salaire quatre fois supérieur à celui qu’il touchait en Côte d’Ivoire - dès son arrivée à Abuja les premières difficultés commencent : ses “futurs patrons” lui demandent de leur verser 850 euros pour diverses formalités administratives et des mois de loyer d’avance.

Après leur avoir envoyé la somme, il n’obtient aucun permis de travail et son passeport et téléphone lui sont confisqués. Il est alors enfermé dans une maison avec une quarantaine d’Ivoiriens, sous-alimentés qui travaillent pour faire venir leur proche au Nigeria et leur extorquer de l’argent ou convaincre des amis ou parents de leur fournir 3000 euros afin de financer un prétendu départ vers l’Europe ou le Canada. « La vie là-bas, c’était très difficile. On mangeait une seule fois par jour, trois cuillères de gari (une semoule de manioc). Pendant un mois, tu peux ne pas aller à la selle. Tout ce qu’ils nous disent, on est obligés d’accepter. On était tout le temps surveillés » explique Ibrahim COULIBALY, une autre victime. « Tant qu’il y a de la migration, il y aura des réseaux de trafic de personnes. Ce n’est pas une exception. Même si son ampleur interpelle. » confie Gaoussou KARAMOKO, Directeur Général de la Direction Générale des Ivoiriens de l’Extérieur (DGIE). [2]  Ibrahim et Mamadou ont finalement pu être sauvés de ce trafic grâce au soutien de leur ambassade et tous deux rapatriés aux côtés de 8 de leurs compatriotes. Ce même trafic visait également des Burkinabè et des Maliens qui ont pu être exfiltrés par leurs ambassades.

"« Ce système [de surveillance des frontières électroniques] est un outil essentiel dans notre lutte contre l'immigration clandestine. En intégrant des technologies de pointe et des données de renseignement internationales, nous ne nous contentons pas d'identifier les menaces, mais nous les empêchons de s'aggraver. L'un des résultats les plus remarquables du système e-border est son rôle dans l'identification et la capture des personnes d'intérêt. En quelques semaines seulement, le système, en particulier aux portes électroniques installées dans cinq aéroports internationaux, a permis de repérer et d'arrêter des individus ayant un casier judiciaire ou des activités suspectes »"
Olubunmi TUNJI-OJO
Ministre de l'Intérieur du Nigeria
Olubunmi TUNJI-OJO, Ministre de l'Intérieur du Nigeria

Des outils technologiques efficaces ?

 

En 2019, le gouvernement a investi 52 milliards de nairas soit 31 millions d'euros pour un système de surveillance des frontières électroniques. Le projet a pris du retard et n’a commencé qu’en 2022. C’est dans les zones reculées, sans présence d’agents nigérians que la technologie peut et devrait être un atout. « Nos frontières maritimes seront incluses dans la première phase du projet de surveillance des frontières électroniques, qui sera achevée en octobre 2024. L'air et la terre sont désormais sous notre commandement et notre contrôle. Sans technologie, il est impossible de sauvegarder vos frontières avec succès » explique M. TUNJI-OJO, Ministre de l'Intérieur du Nigeria. [3] Depuis mi-décembre, 80 points de passage du pays sont équipés du système. Il fournit des renseignements et surveille, en temps réel, 24h/24, les frontières. et de défendre : « Ce système est un outil essentiel dans notre lutte contre l'immigration clandestine. En intégrant des technologies de pointe et des données de renseignement internationales, nous ne nous contentons pas d'identifier les menaces, mais nous les empêchons de s'aggraver. L'un des résultats les plus remarquables du système e-border est son rôle dans l'identification et la capture des personnes d'intérêt. En l'espace de quelques semaines seulement, le système, en particulier aux portes électroniques installées dans cinq aéroports internationaux, a permis de repérer et d'arrêter des individus ayant un casier judiciaire ou des activités suspectes ». [4]

Mais son efficacité semble limitée : « Le système de contrôle des frontières électroniques qui a été mis en place pour empêcher les immigrants illégaux d'entrer dans le pays n'a pas empêché leurs citoyens [Béninois] d'entrer au Nigéria. » explique Abdulrasheed ABDULLAHI, ancien président du Conseil du gouvernement local de Baruten, une zone à la frontière avec le Bénin, censée être fermée depuis plusieurs années. [5] Outre la protection des frontières, les nouvelles technologies sont aussi utilisées pour centraliser les informations à disposition des différents services engagés dans la lutte contre le trafic de migrants au Nigeria. Ainsi, une base de données commune d’enquête a été lancée. Il s’agit d’une plateforme centralisée sur laquelle les agents des différents services peuvent échanger des informations. Une approche coordonnée qui permet de rationaliser les enquêtes et d’apporter une réponse ciblée à ce trafic d’ampleur.

 

Des coopérations à plusieurs niveaux

 

La traite des êtres humains, éminemment transfrontalière, nécessite en effet une action coordonnée. Il y a quelques jours, Civipol, l’opérateur français de coopération technique internationale du ministère de l'Intérieur, a annoncé le lancement du projet « Partenariat Opérationnel Conjoint (POC) – Nigéria : Lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains » en partenariat avec la Direction de Coopération Internationale de Sécurité. L’objectif est de permettre le renforcement des capacités d’investigation et de poursuite de la NAPTIP pour un démantèlement plus efficace des réseaux de traite mais aussi de renforcer la coopération régionale et internationale. Doté d’un budget d’1,4 million d’euros, le projet permettra un soutien opérationnel, la fourniture d’équipements techniques et des formations. Des missions d’immersion sont aussi à l’ordre du jour pour favoriser l’échange de bonnes pratiques au niveau régional notamment.

Autre initiative plus ancienne : Action Against Trafficking in Persons and Smuggling of Migrants in Nigeria Project (A-TIPSOM) développée par l'Union européenne. Depuis 2019, ses objectifs sont multiples : améliorer la gouvernance du secteur de la migration au Nigeria, avec un accent particulier sur la lutte contre la traite et le trafic de migrants ; prévenir ces infractions dans les principaux États d'origine et de transit ; améliorer la protection, du retour et de la réintégration des victimes de la traite et du trafic de migrants en provenance d'Europe et améliorer l'identification, l'enquête et la poursuite judiciaire des trafiquants et des passeurs.

Enfin l’accent est également porté sur la coopération au niveau national, régional et international. Basé sur la stratégie des 5 P (Politique, Prévention, Protection, Poursuite et Partenariat), l’A-TIPSOM se réunit régulièrement pour échanger. Autant de coopérations essentielles pour endiguer un fléau qui nécessite une implication des acteurs privés et des institutionnels.

 

[1] Article France 24 : Des Ivoiriens victimes d’un réseau de traite d’êtres humains au Nigeria

[2] Article France 24 : Des Ivoiriens victimes d’un réseau de traite d’êtres humains au Nigeria

[3] Article News Central : Nigeria’s N9Billion E-Border Initiative Ineffective at Deterring Illegal Immigrants

[4] Article Nigerian Tribune : Enhancing border security

[5] Article News Central : Nigeria’s N9Billion E-Border Initiative Ineffective at Deterring Illegal Immigrants